Comme chaque année vers la fin octobre, le bouilleur de cru ambulant sillonne la campagne pour distiller les fruits des vergers des particuliers. Des volutes de fumée, des parfums fruités enivrants rappellent une tradition solidement ancrée en milieu rural, mais qui, hélas, est en train de se perdre.

Trois métiers pour un seul homme
Gilbert Gonnet est né en 1945. Autrefois paysan à la Chapelle-Saint-Martin, à 8 km de Yenne, il a durant plusieurs années fait fonctionner l’un des deux alambics du canton. L’exploitation agricole familiale n’était pas très importante, alors il louait ses services à des patrons, en complément. L’été, pour moissonner, l’hiver pour distiller. C’est ainsi qu’il a appris le métier, « sur le tas ». Les journées étaient longues : à l’époque, l’alambic tournait au charbon. Il fallait allumer le feu à 5h, recharger à 6. Porter les paniers de fruits ou de marc de raisin, vider les vases… Et ainsi jusqu’à 19h, voire plus. Un travail à la fois physique et technique, pour produire une eau de vie au degré d’alcool optimal. Un travail de connaisseur. « Très vite, le patron m’a laissé me débrouiller seul » s’enorgueillit Gilbert.

La fête
La présence de l’alambic était aussi prétexte à la fête, dans les campagnes.
« Suivant les campements, l’ambiance était plus ou moins festive. On pouvait finir vers 23h… ».
A la consommation de l’alcool fraîchement distillé, s’ajoutait la cuisson des diots et saucisses « à la chaudière ». « Les gens se retrouvaient dans une cave ou ailleurs pour danser. L’alcool aidant, parfois ça se finissait mal » raconte Gilbert. Lui se gardait bien de boire, « déjà que j’étais dans les vapeurs d’alcool toute la journée »
pour garder les idées claires et s’occuper des déclarations fiscales obligatoires*, en cas de contrôle.

Fier du travail accompli
Cet épisode de sa vie, Gilbert Gonnet a plaisir à le raconter. Fier de son savoir-faire, et de cette tradition qui tend aujourd’hui à disparaître.
« Dorénavant l’alambic tourne au fuel, c’est bien moins contraignant, et les horaires ne sont plus les mêmes ».
Comme souvent à cette époque, on chargeait l’un des enfants de faire tourner l’exploitation familiale.

Il fut l’un de ceux-là, avec l’impression encore vivace d’avoir été sacrifié et d’avoir travaillé toute sa vie pour les autres. « J’ai passé une belle vie quand même » tient-il à préciser, « je me suis débrouillé autrement ». Avec facétie, il raconte entre deux éclats de rire ses conquêtes féminines, lui qui ne s’est jamais marié.
« J’avais une solide réputation dans le canton » fait-il remarquer à ses voisins de table du Foyer Logement de Yenne qui, malicieusement, lui répondent dans un sourire : « eh bien, tu ne nous avais pas tout dit… ».

* En France, toute personne propriétaire d’une parcelle ayant la dénomination de verger ou de vigne sur le registre du cadastre peut distiller les produits issus de cette parcelle (fruits, cidre, vin, marc). La distillation est effectuée dans un atelier public ou privé après avoir effectué une déclaration au service des Douanes et Droits Indirects. Les personnes qui ne possèdent pas le titre de bouilleur de cru payent dès le premier degré d’alcool : le tarif est de 8,5931 € par litre d’alcool pur jusqu’à mille degrés, et 17,1861 € par litre d’alcool pur au-dessus. Le propriétaire d’une parcelle peut donner procuration à quelqu’un qui distillera ainsi en son nom.

Fabienne Bouchage

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