C’est une personnalité incontournable pour évoquer la Shoah. Historien polonais, directeur du musée d’Etat d’Auschwitz-Birkenau, Piotr Cywinski est depuis quelques années membre du Comité d’Administration de la Maison d’Izieu. Dans un français parfait (il a vécu 11 ans entre la Suisse et l’Alsace), il évoque ce lieu de mémoire si particulier et fait le lien entre inquiétudes d’hier et d’aujourd’hui.

Ballad’Ain : Êtes-vous là à titre personnel ou pour représenter le musée d’Auschwitz-Birkenau ?

Piotr Cywinski : « Nous avons signé une sorte de partenariat entre le musée d’Auschwitz-Birkenau et la Maison d’Izieu, mais selon ma conception des choses, c’est davantage une histoire personnelle. L’équipe de la Maison d’Izieu est fantastique, dévouée, très motivée, c’est un grand plaisir de collaborer.

Ballad’ : Auschwitz ou la Maison d’Izieu, quel lieu évoque le plus la mémoire de la Shoah ?

Piotr C. : Auschwitz était un lieu de mort, ici c’est un lieu de vie. Chaque lieu de mémoire est différent, celui-ci est très poignant. L’histoire des enfants est très concrète, très précise ; ce ne sont pas des chiffres, ni des statistiques mais des visages, des noms. Ensuite il y a ce contraste absurde entre la beauté du site et l’histoire tragique. Je ne connais pas d’autre lieu de mémoire en Europe où ce contraste est plus grand, entre ce qui est beau, vivant, se développe, au regard de ce qui ne se voit plus. C’est un endroit très spécial.

Ballad’ : On dit parfois que les enfants sont toujours vivants tant qu’ils sont dans la mémoire. Qu’en pensez-vous ?

Piotr C. : C’est ce que disent les vivants, les enfants discuteraient peut-être cette thèse… Ce qui est sûr, c’est que quels que soient les conflits, les génocides, l’époque, les enfants sont toujours les premières victimes. Si ce lieu peut avoir une vocation, au-delà de l’évocation des 44 enfants, c’est de s’interroger sur la place laissée à l’enfance dans un monde de guerre d’adultes.

Ballad’ : Vous faites le lien avec des situations d’aujourd’hui ?

Piotr C. : Nous vivons dans un Monde de moins en moins réactif, en tout cas pas plus qu’à l’époque des enfants d’Izieu. Il y a 2 ans, 60 000 personnes ont été massacrées en Birmanie, 600 000 autres déplacées, et ce dans une indifférence quasi totale. C’est une évolution qui fait peur.

Ballad’ : Comment réagissez-vous à la montée des actes antisémites en France, mais aussi dans toute l’Europe ?

Piotr C. : C’est très inquiétant. Nous enregistrons de plus en plus de visites à Auschwitz, au point de devoir réguler le public. Paradoxalement, l’antisémitisme monte dans toute l’Europe : Italie, Espagne, Scandinavie, Pologne…
En France c’est plus visible encore car c’est ici que la communauté juive est la plus grande (la moitié de la diaspora européenne).

Ballad’ : Comment expliquez-vous cela ?

Piotr C. : C’est comme si l’on vivait une accélération du changement de civilisation. Les gens ne voient pas où va le monde, cela crée un stress, des inquiétudes qui, même inconscientes, génèrent un repli sur soi et un égoïsme xénophobe.

Ballad’ : En tant que directeur du musée d’Auschwitz-Birkenau, avez-vous un rôle particulier pour lutter contre ce phénomène ?

Piotr C. : Avec mon équipe nous réfléchissons à cela, oui. Il faut changer quelque chose dans la transmission de la mémoire ; il faut qu’à la sortie d’une visite, les gens ne soient pas seulement abattus mais ressentent une inquiétude morale sur le monde d’aujourd’hui et l’avenir de leurs enfants. Auschwitz-Birkenau reçoit des visiteurs de toute l’Europe, d’Asie, d’Israël… Mais très peu originaires des Pays Arabes, du Proche-Orient, et pas du tout d’Afrique sub-saharienne. Peut-être est-ce là maintenant qu’il faudrait porter la connaissance ?

Propos recueillis par Fabienne

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