J’ai rencontré un bonhomme étrange, un vieux bugiste soigneusement estampillé A.O.C (Ancien d’Origine Contrôlée), lequel avait l’étonnante déficience de ne rien aimer du tout. RIEN, point à la ligne !

Mes vœux de saison, à son endroit, n’eurent aucun impact. Ils se heurtèrent sur sa carapace d’indifférence, résistante à tous souhaits de joie, de bonheur, de santé, ou d’autres aventures capables d’illuminer ses longues journées de retraité. Il ne voulait rien entendre car il ne demandait rien et surtout, il n’aimait strictement RIEN. II était inutile de lui vanter les mérites du Bugey, la beauté de ses paysages, sa douceur de vivre et sa convivialité, et même le goût du saucisson ou celui de la fondue aux truffes, tout ça traversait son esprit comme une pensée fugace incapable de s’accrocher sur la moindre aspérité d’enthousiasme spontané. La mine sombre, les épaules lasses et le visage impassible, il semblait traverser la vie dans une espèce de sillage fait de tristesse qui devait aller d’une mise au monde difficile, peut-être même non désirée, vers un trépas réduit à un tout petit tas de froides poussières d’éternité. Amen !

Ce n’était pas vraiment la joie, mais un vrai phénomène de zigoto débarqué d’une planète gelée où l’humour, l’amour, le bonheur de vivre et tout ce qui nous fait bien rigoler ici-bas n’avaient pas encore inspiré un Dieu Créateur sinistre, mis en pénitence dans un coin sombre de l’univers.

Pour réanimer la flamme de mon bonhomme, j’avais envie de lui déclamer ce qui sert de stimulant puissant aux héros tourmentés de la Guerre des Etoiles : « Que la Force soit avec toi ! » mais son système de réception ne semblait pas être branché sur ce registre imaginaire et fantastique.

Je le laissais donc comme je l’avais rencontré, il n’aimait rien et ne voulait rien, avant, il n’aimait rien et ne voulait rien, après. Un échec total.

Finalement je décidais de trouver son comportement plutôt comique et je pensais que ce genre de caractère pourrait faire l’objet de recherches au point d’étayer les fondements d’une philosophie nouvelle : celle du RIEN.

Une conception orientée vers une forme de nihilisme permettant de mieux aborder les bouleversements de notre époque. A l’inverse de ceux qui s’accaparent, avec une avidité insatiable, de tout ce qui foisonne autour de nous, de nouveau ou de futuriste, pour lequel ils ne sont pas toujours satisfaits, les adeptes du RIEN, eux, devraient s’en foutre complétement.

Ils devraient constituer une secte de zombis déconnectés de nos sociétés tumultueuses et former des bataillons de spécimens adaptables à toutes sortes de situations. Qu’ils soient au pôle Nord, dans une tribu d’Amazonie ou en train de siroter un café à la terrasse d’un bistrot de Belley, ils seraient identiques à eux même, faciles à intégrer dans la mondialisation de ceux qui n’aiment strictement RIEN, nul-part.

Une tendance qui pourrait gagner toutes les facettes de nos sociétés comme les associations, les arts, les croyances et même les politiques. L’association de ceux qui n’aiment rien pourrait avoir pour objectif la recherche, utopique, d’une seule chose à aimer. Une forme d’art du rien ressemblerait à certaines œuvres, dites célèbres, dont les bizarreries ne font qu’insulter l’émerveillement et ne suscitent rien. Une croyance, où l’espoir d’éternité serait complétement balayé devrait satisfaire ceux qui ne croient en rien, lesquels ne sont pourtant jamais sûr de rien.

Enfin en politique le rien pourrait servir de slogan à un leader déjanté arguant qu’il n’y aurait rien à attendre de son vaste programme. Avec une tête d’affiche placide et tristounette pour dire le contraire de tout ce que l’on entend d’habitude : « Votez pour moi c’est voter pour rien car je ne vous promets rien du tout ! Et comme vous n’aimez rien, vous n’aurez strictement rien, et basta ! » Du déjà vu ?

Finalement j’en parlais à mon Marcel qui eut cette réponse encourageante :
« Moi ce n’est pas pareil, j’aime tout ou presque tout ! Je suis souvent déçu mais il m’en reste toujours quelque-chose de bon ou même de très agréable, alors ! »
-Merci Marcel !
-De rien !

Paul Gamberini

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