« Il était une fois un vieux monsieur qui passait son temps à écrire des lettres d’Amour. Une occupation qui ne devrait pas trop surprendre quand on sait que l’Amour est universel, qu’il appartient à tous les âges et qu’il n’existe que pour satisfaire aux plaisirs de l’âme. Laquelle, comme chacun sait, est éternelle. Mais ce qui était particulier dans cette histoire, c’est que ces lettres n’arrivaient jamais dans les mains de la mystérieuse destinataire. Elles étaient toutes envoyées en poste restante, de façon imprécise, ce qui laissait les préposés de la Poste dans un état fébrile de grande perplexité. Sur chaque enveloppe il était bien écrit « Lettre d’Amour, à l’attention de Madame Nicole, Poste restante Belley » mais personne ne connaissait l’expéditeur et encore moins de Madame Nicole. Une parfaite inconnue.

   Les choses en allèrent ainsi pendant une année, avec une régularité suffisante pour permettre une accumulation importante de lettres, toutes imprégnées du grand secret de leur propre contenu. Confidentialité oblige, la Poste les préservait dans un casier soigneusement protégé, dissimulé, comme elle sait le faire pour les choses qui n’existent pas. Cependant, afin de sortir de cette délicate situation, on la confia au préposé spécialisé en matière de « Lettre d’Amour, Coup de foudre, Belle Romance et Lune de Miel ». Une affaire qu’il diligenta avec la malice d’un jeune cupidon, grand expert en mystères amoureux. Après avoir pris connaissance de l’une de ces lettres, il décida d’en remettre un exemplaire à chacune des Nicole répertoriées dans le canton de Belley. Chose étonnante, le nombre de lettres reçues permettait de satisfaire toutes celles qui avaient été retrouvées dans le Grand Registre des Nicole. La coïncidence était tellement surprenante que la Poste décida d’en faire un événement d’exception.

   On était au moment de la Saint-Valentin et autour d’un Grand Préposé élégamment costumé, tout de jaune, et soigneusement cravaté pour la circonstance, dans une ambiance de couleurs, de timbres de collections, de colis cadeaux et d’attentions toutes pétillantes de bulles, la Poste organisa une cérémonie superbe de lumières et de guirlandes. Chacune des Nicole invitées prit connaissance d’un message d’Amour, comme si celui-ci lui avait été personnellement destiné. Les contenus semblaient être tellement délicats de compositions, de fioritures, de pleins et de déliés et de mots choisis brodés de poésie, qu’ils en provoquaient de belles émotions et faisaient éclore des sourires de surprise ou de bonheur très librement partagés. C’était un moment magique, fait d’émotions et de touchantes expressions, comme la conduite habile d’une délicate séduction, seule et malicieusement enrobée, sait encore provoquer. Le plaisir des Nicole était général, il se lisait dans leurs yeux de charmantes créatures. De vrais instants de bonheur que seule la Poste, dans ses moments d’heureux messages, distribués pour plaire par un facteur attentionné, réussit encore à provoquer.

***

   Dans la chaumière discrète d’un petit village du Bugey, un vieux Monsieur, penché sur son journal, lisait et relisait un compte-rendu étonnant. Celui-ci relatait la tenue d’une manifestation au cours de laquelle de séduisantes créatures avaient été célébrées de façon extraordinaire. Une photo illustrait l’article à la manière d’un superbe bouquet de Nicole, toutes épanouies, dans les pétales colorées de leurs plus beaux atours de fêtes ou, du dimanche. Le titre était évocateur :

« Des lettres d’Amour. Quand la Poste célèbre toutes les Nicole du Canton de Belley »

Surpris par ce dénouement le vieux monsieur se sentit émoustillé et il se décida, aussitôt, à écrire de nouvelles lettres d’Amour qu’il adressa de la façon suivante :

« Lettre d’Amour, à l’attention de Madame Françoise, Poste restante Belley »

Le préposé de la Poste, spécialisé en « Lettre d’Amour, Coup de foudre, Belle Romance et Lune de Miel » en prit connaissance et sans surprise il les rangea comme il avait appris à le faire. Il murmura simplement : « Et voilà, c’est reparti pour un tour mais cette fois c’est tout pour les Françoise ! » »

Paul Gamberini

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