Et puis un jour l’une de mes filles introduisit dans la maison un jeune homme de son âge. Il avait les yeux langoureux d’un timide séducteur, tout impressionné par l’hospitalité qui lui était offerte au sein du nid douillet de la belle jouvencelle. Tout se passait très bien, les discussions étaient plutôt calmes et doucereuses, la nourriture généreuse était adaptée aux orientations herbivores de l’individu. Quant aux sourires, un peu hébétés, ils ressemblaient à ce que l’on peut offrir de mieux lorsqu’on souhaite apprivoiser, gentiment, le trublion éventuellement destiné à s’accrocher aux structures généalogiques du cocon familial. Allez savoir, par les temps qui courent c’est souvent très compliqué ? 

     Puis le sérieux du personnage devint évident lorsqu’il s’isola pour étudier ce qu’il devait apprendre d’un tas de bouquins, savants et hermétiques, afin de se soumettre à une importante épreuve de philosophie. Autant dire que de le voir perdu, des journées entières, entre Cicéron, Spinoza et d’autres Spécimens du même style, je me demandais si cela allait lui permettre de trouver les secrets d’une existence de penseur lumineux ou bien le choix d’une orientation professionnelle. Celle capable de faire bouillir la marmite, gourmande, d’un couple une fois mis en ménage, avec ma fille ou avec d’autres ? Aussi, pour le ramener dans un monde beaucoup plus pratique et plus matériel, je lui conseillais, avec une petite dose d’humour, prudemment distillée, de renoncer à tout son bazar et de passer un bon vieux C.A.P de plombier. Les retours immédiats de son regard plissé, froid et dérangé et de son silence figé par son orgueil personnel plus ou moins froissé, me firent comprendre que je m’étais complétement planté. J’avais affaire à un converti, presque passionné, qui saturait son esprit de références philosophiques dans lesquelles l’exercice de la plomberie n’avait encore jamais mis les pieds.

     La nature de sa réaction me permettait de mesurer, une fois de plus, l’écart qui existait entre deux conceptions, entre celle des études dites conventionnelles et celle des formations professionnelles. Comme si le fait d’exercer une activité technique plus ou moins manuelle, en y associant des tas d’outillages et des contraintes physiques acrobatiques, cela n’entrainait pas une disqualification sociale parasitée par des préjugés ridicules et déconnectés des réalités économiques fondamentales de nos sociétés.

Ce genre de constatation ne cessait de m’agacer mais sans en vouloir au brave jeune homme, bien sûr, lequel pouvait très bien construire son avenir en illuminant son esprit avec les idées d’un Voltaire, un philosophe tout à fait respectable qui lui, connaissait très bien les avantages matériels d’une saine économie.

Mais une fois de plus je pensais qu’il était grand temps de valoriser la trame précieuse de notre tissu professionnel dispersé partout, tout autour de nous, dans l’industrie, l’artisanat, les services et l’agriculture. Sans oublier l’alimentation et la restauration, évidement, puisqu’il nous est toujours agréable de satisfaire à notre bon appétit !

     Je n’imaginais donc personne qui n’ait jamais eu besoin d’un plombier pour apaiser ses angoisses de douche froide ou de fuite d’eau. Quand un problème de  chasse d’eau défaillante aurait beaucoup de mal à trouver remède dans un bouquin de Jean-Paul Sartre, par exemple, même dans son ouvrage : “Les mains sales”.

    Alors, puisque les références philosophiques semblent encore être égoïstement accaparées par des orientations plus ou moins élitistes, j’aimerais rappeler que les fondements technologiques de la majorité de nos formations professionnelles reposent sur des postulats ou des théorèmes jaillis d’esprits lumineux, de ceux de grands philosophes ou de savants.

Que seraient les constructions de tout ce qui nous entoure sans Pythagore, sans les parallèles de Thalès, de ces personnages qui associaient leurs visions existentielles aux besoins de créations matérielles indispensables aux désirs d’émancipation de l’humanité.

Il serait donc grand temps de mettre sous le même toit, et à égalité, toutes les études, conventionnelles, professionnelles et techniques. D’ailleurs, du fond de sa baignoire, je verrais assez mal Archimède, barbotant, critiquer les plombiers, lesquels devraient s’enorgueillir d’avoir contribué à la révélation d’un principe scientifique universellement reconnu. Tout cela étant dit afin de promouvoir toutes les formations professionnelles et de valoriser leurs importances, pour la solidité de notre économie et pour notre bien-être. Merci !

Paul Gamberini     

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