© Joël JACQUARD

Sans vraiment les attendre, pensant qu’elles pourraient nous oublier en choisissant d’autres clochers, d’autres toits ou d’autres emplacements en sillonnant le ciel de leurs vols gracieux, on éprouve un réel plaisir lorsqu’elles arrivent, soudainement, de retour, éparpillées dans notre petit village. Difficile d’exprimer ce que l’on peut ressentir lorsqu’elles sont là : comme une sorte de reconnaissance qui se partage entre la surprise, la joie et l’admiration. Ce faisant et de façon intuitive elles nous associent à leur parcours de longue migration dont les origines et les destinations nous restent mystérieuses. On peut tout imaginer en songeant à leur itinéraire entre les pays éloignés du Nord et ceux lointains de l’Afrique, alors qu’elles nous accordent une brève escale, à passer dans nos vieux murs. Ce qui peut donner quelques frémissements rêveurs quant à leurs extraordinaires aventures.

     Il ne s’agit-là que d’un privilège de courte durée, certes, mais qui laisse le temps de les observer et de les accueillir alors que leur passage éveille les torpeurs un peu soporifiques du village en provoquant ce que nous pouvons offrir de mieux, de sourires et de chaleur collective partagée. Ce sont de précieux moments qui nous entrainent dans des élans d’échanges spontanés comme si on se retrouvait à bavarder, joyeusement, autour des gâteries ou des bulles pétillantes d’une célébration officielle. Rapidement les photos sont prises, les lieux de leurs étapes nocturnes sont comptabilisés, depuis le toit de l’église, la cime du grand cèdre ou le sommet des maisons dont celle de Marcel. Chacun y va de son orgueil, quand il se sent honoré de leur présence sur les tuiles ou sur la cheminée de sa propre demeure. Puis, rapidement, la nuit enveloppe le tout dans le silence perturbé par les caquètements, parfois agacés et répétitifs, de nos précieux visiteurs. Le village s’endort doucement, les soirées de fin août sont déjà fraîches et le petit matin réveille les plus curieux, soucieux de contempler leur départ prévisible : celui qu’ils racontent ensuite aux plus endormis. On les écoutes pour apprendre que de très bonne heure, dès l’aube, les cigognes ont commencé à s’agiter puis, dans une fébrilité générale, elles se sont mises à voler autour du village, de plus en plus haut, avant de rejoindre la plus téméraire d’entre elles qui semblait orienter le groupe reconstitué vers leur nouvelle destination. Ensuite elles se sont éloignées en direction du sud, avant de disparaître avec l’élégance, la grâce et la beauté d’une légèreté qui s’accorde à la parfaite maîtrise de l’air, de l’espace et des très longs voyages. Des possibilités étonnantes qui s’attachent aux légendes accordées aux oiseaux mythiques ou fabuleux.

     De  cela il ne restait plus que les sentiments que chacun pouvait ressentir entre les regrets de leur départ, si rapide et la fierté teintée de l’honneur qui avait été fait à tous et au village. Pour beaucoup c’était magique, pour d’autres comme le plus grognon d’entre nous, il n’y avait aucune raison d’en faire un événement alors que tant d’autres choses importantes restaient à faire. Après tout ce n’était que de grosses bestioles à plumes, qui faisaient trop de bruits, qui prenaient trop de place et qui souillaient les toits. Mais pour une fillette de cinq ans, ce n’était que tristesse car aucun nouveau né n’avait été apporté par les cigognes et c’est en pleurs qu’elle exprimait sa déception. Pour qu’elle comprenne que la triste réalité des choses contrarie souvent les plus vieilles et les plus belles légendes il faudrait encore d’autres passages de cigognes. En attendant, souhaitons leur bon voyage et de nouveau dans le village !

Paul Gamberini

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