Un bonhomme m’a raconté qu’il nageait dans le bonheur ! Une expression qu’il m’arrive d’entendre, parfois, quand un bienheureux se trouve baigné dans un sillon de santé, de bien-être époustouflant ou de succès extraordinaires. De quoi me filer des complexes de minus habens au point de regarder le ciel plombé pour voir si je gravite vraiment sous les mêmes nuages.

Il est vrai que pour maintenir une sorte de supériorité, souvent factice, certains n’hésitent pas à nous bavasser tous les atouts positifs et lumineux de leur somptueuse existence. Histoire de nous regarder de haut, avec une condescendance de nanti illuminé qui nous confine dans les misères plus ou moins congénitales de nos lignées besogneuses. Une grande apologie du bonheur, exagérément exprimée, qui s’accompagne souvent de l’inévitable question, à peine susurrée dans un murmure ennuyé : « Et vous, alors, dites-moi, sincèrement, comment allez-vous ? ».

Réponse embarrassante à donner qui nous fait bredouiller les dernières impressions d’un petit bonheur du moment, lequel nous confine dans des godasses de pédestres du terroir.
« Oh moi, vous savez, je viens d’arracher mes patates, des Bintje, lesquelles sont très bonnes en purée. Avec mes dernières Charlotte à grains fins, délicieuses et faciles à la cuisson, j’ai ma réserve pour l’hiver ! »
Une réplique qui ne manque jamais de déstabiliser le zigoto concerné en lui tirant des rictus symptomatiques de méprisantes afflictions.

Alors qu’il était en recherche de palmes brillantes ou de médaille valorisante le voilà ramené au ras du gazon. Paf !
Ce qui prouve bien, si besoin était, que chacun doit pouvoir se satisfaire de son bonheur personnel, à la mesure de ses conceptions d’existence ou de ses possibilités, sans pour autant aller gonfler les oreilles d’auditeurs passifs et agacés. Car, comme on le dit souvent dans notre vieux Bugey traditionnel : « Petits ou grands bonheurs, ça, ma bonne vieille Dame, c’est bien du fragile ! »

Alors, pour être plus accommodant, pour ceux qui désirent vraiment nager dans le bonheur, pourquoi ne pas aménager les bassins de notre future, grande et belle piscine (????) afin que chacun puisse en ressortir heureux et humide, raisonnablement chloré, avec des yeux rougis du plaisir d’une eau douce et transparente de savantes filtrations.

Pour cela il suffirait de donner à chaque ligne l’affectation convenable, selon les plaisirs recherchés.
Une première ligne pour tout petit bonheur essoufflé, destinée aux débutants en mal de barbotages nautiques, avec l’espoir d’une ou de deux longueurs riches de gesticulations nerveuses mais garantes de suprêmes satisfactions.
Puis une ligne pour apprentissage visant à donner des allures de dauphins enjoués aux amateurs de profondeurs limitées. Une autre pour nos éternelles naïades qui nagent très socialement, deux par deux, afin de pouvoir échanger, entre vaguelettes légères et à petites brasses mémères, leurs derniers potins du moment.
A cela il conviendrait d’ajouter une ligne pour nageurs confirmés venus régulièrement entretenir une musculature de crawleur déterminé, puis une dernière ligne pour m’as-tu vu, ou supers athlètes de brasse papillon, grands remueurs intempestifs de tsunamis de piscine et fervents épongés de regards admiratifs : « Avez-vous vu mon corps d’Apollon ? ».

Aboutissement suprême pour mecs sculptés par un Phidias d’eau douce. On aurait là un échantillonnage à peu près complet des satisfactions possibles, toutes exprimées sur des visages transfigurés par la sensation euphorisante de nager dans le bonheur. D’où l’importance trop méconnue des piscines dans la poursuite d’un quête idyllique vouée au bonheur universel.
Enfin, pour finir, je ne peux pas oublier la sagesse de Marcel, penseur profond et astucieux bidouilleur de sujets fantaisistes.

« Moi, me dit-il, la natation ce n’est pas mon truc, je préfère le plancher des vaches avec tout ce que cela comporte de contemplations naturelles. Avec une marguerite, la naissance d’une rose, le vol des canards sauvages ou l’apparition de la pleine lune un soir d’hiver, ce sont ces bonheurs simples, baignés de rêveries, que j’accompagne de précieuses rasades. Un petit bonheur quotidien s’accommode très bien d’un Gamay traditionnel, un autre plus soutenu s’accorde parfaitement avec une Mondeuse, et un Pétillant rosé souligne favorablement le côté euphorisant d’un grand Bonheur. Puis, comme la vérité est dans le vin (In Vino Veritas), je peux te dire, avec la certitude d’un consommateur avisé, et modéré, que pour satisfaire tous ceux qui veulent vraiment nager dans le bonheur, il est nécessaire de prévoir une très belle et très grande piscine à Belley. »

Merci Marcel !

Paul Gamberini

Laisser un commentaire

Ce site utilise Akismet pour réduire les indésirables. En savoir plus sur comment les données de vos commentaires sont utilisées.