Un jour Dieu créa les petits bonshommes à son image, à une époque originelle où la natalité reproductive n’existait pas encore. Pour devenir papa, Dieu n’avait pas d’autres solutions que de se fabriquer, lui-même, les deux premiers spécimens tout neufs. Un mec à poils, candide et émerveillé, et une nana super, toute nue, complétement innocente de beauté, de séduction et parfaitement inconsciente de son extraordinaire sex-appeal. Pour changer les vieilles traditions, et pour les besoins de ces quelques lignes, nous les appellerons, simplement, Jules et Juliette.
Donc Jules et Juliette, le premier couple de l’histoire, fut ainsi bricolé avec un peu d’argile et un morceau de côtelette inutilisé qui traînait dans un coin.
Pas vraiment un gros boulot pour un créateur génial et super actif qui avait déjà fait des tas de choses fabuleuses. Tout ça avant de les livrer à eux même, en balade, dans un immense paradis terrestre où ils n’avaient strictement rien à faire.
Une existence oisive, embarquée pour l’éternité, sans risque de pollution, d’accidents, de maladies graves, de catastrophes naturelles ou même de champignons vénéneux : rien !
Un univers immense et pénard où l’avenir ressemblait au passé, où tout ce qu’on allait voir avait déjà été vu et revu des milliers et des milliers de fois.
Une uniformité sans égale et sans fin, inlassablement recommencée et difficile à imaginer pour ceux qui n’ont jamais mis les pieds dans un machin pareil.
Les choses auraient pu en rester là, aussi longtemps que le plus longtemps des plus longtemps avant de tout refaire, en boucle, sans interruption. De quoi prendre le tournis car sans aucune fantaisie et sans changements possibles.

C’est alors que Dieu réalisa qu’il avait oublié un truc important dans son grand bidule créatif et que s’il voulait mettre un peu d’excitant dans le cours des choses, il fallait qu’il y ajoute un stimulant efficace. Une sorte de piment universel et imparable qu’il appela :
l’espoir.
On connait la suite, il inventa un gros pommier généreux et mal protégé par un panneau d’interdiction ridicule, qu’il exposa à la tentation de ses deux tourtereaux. Sans oublier de laisser peser sur eux la menace de foudres célestes s’ils devaient succomber aux tentations du fruit défendu. Puis, ce qui devait arriver arriva, Juliette n’y résista pas et n’hésita pas, un seul instant, à chercher des pépins.
C’est alors, dans une grande colère, manifestée pour la première fois, que Dieu les éjecta fissa du paradis terrestre avec, pour seule consolation, l’espoir d’y revenir un jour, si jamais, et s’ils se montraient sympas, eux et avec eux leur nombreuse descendance. Histoire de leur apprendre à vivre, à obéir à papa, ou de les endurcir : façon stage commando viril dans un contexte extrême de sauvages hirsutes. Dès lors l’humanité était en marche, tirée par la lumière vivifiante de l’espoir.

Confrontés aux conditions les plus intolérables, Jules et Juliette découvraient les incertitudes d’un monde hostile avec des tas de choses pénibles à supporter. La faim, la soif, le froid, la chaleur, mais aussi la peur, l’amour et toutes ces tentations infernales qui tourmentent encore pas mal de nos zigotos actuels. C’est à cette époque, également, qu’apparurent les premières scènes de ménage :
– T’avais bien besoin de nous faire bouffer cette fichue pomme, t’as vu ce que nous sommes devenus depuis : misère de misère !
– Ecoute, Jules, t’es jamais content, tu ne peux pas te plaindre, t’as jamais été fichu de me faire l’amour pendant toute l’éternité et maintenant que t’as trouvé le truc qui convient parfaitement tu ne t’arrêtes plus, c’est quand même une sacrée aubaine, non ?
– Quand on voit le résultat, t’as déjà fait deux minots, dont un avec une vraie tronche d’assassin. J’espère qu’il ne va pas nous causer des ennuis plus tard, celui-là !
– J’espère aussi ! Mais il faut garder l’espoir Jules, sinon on est fichus !
– Espérons, espérons ! Heureusement qu’il nous reste au moins ça : l’espoir !
Puis, après une existence éprouvante, Juliette et Jules disparurent dans la grande broyeuse nécrologique en laissant derrière eux une descendance généreuse placée sous le signe de l’espoir. Une tendance incontournable qui allait resurgir tout au long des millénaires à venir.
C’est ainsi que l’on retrouve l’espoir avec le fameux Khéops, lequel espérait atteindre à l’immortalité en roupillant son sommeil de défunt célèbre sous des milliers de tonnes de pyramide vouées à l’éternité. Sans oublier Antoine, le romain célèbre, qui se sentit gonflé d’espoir lorsqu’il vit apparaître Cléopâtre pour la première fois.

Il en alla ainsi de toutes les grandes ou les modestes destinées, qu’elles soient celles de tyrans notoires, de conquérants intrépides, d’artistes géniaux ou de bon vieux quidams des familles. Toutes auront connu leurs misères atténuées par de petites étincelles d’espoir. Elles illuminent les situations les plus diverses et finalement elles mènent le monde.
Quant aux annonciateurs d’anéantissements universels, ceux-ci ne manquent jamais de ressortir leurs vieilles ficèles de tragiques pour annoncer avec des mines de croque-mort que l’espoir a trouvé ses limites. C’est alors qu’une petite flamme de bougie surgit, religieusement entretenue par un souffle fragile de spiritualité qui s’appelle encore : l’espoir.

Enfin, pour ne pas désespérer, retrouvons Jules et Juliette à la fin des temps, lorsque tout aura été accompli. Ils sont devant les portes du paradis et là, avant d’entrer, il se chamaille encore une fois :
– Bon, cette fois, Juliette, on se planque dans un coin sympa du paradis et on se la fait super cool. Et si jamais on te colle encore un pommier devant le nez, Juliette, tu ne touches à rien ! C’est compris ? Tu ne touches à rien !
– J’espère, Jules ! J’espère !
– T’as plus rien à espérer maintenant, l’espoir, tout ça, c’est fini ! Maintenant on se réintègre le paradis et point barre !
– Avoue quand même que c’était super sympa cette escapade !
– Maintenant tu te la fermes, Juliette, on arrive et tu te tiens pénarde !
– Alors on va encore s’em…der, pas mal, et ça pendant très longtemps !
Et puis un jour Dieu colla un poirier devant le nez de Juliette.
A lire en boucle avec un prunier, un cerisier, un pêcher, un bananier, un abricotier, un cocotier, un manguier, etc.

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