Et puis un jour le merveilleux sésame qui permettait d’écrire tous les contes et autres histoires mirifiques ne fonctionnait plus. On avait beau répéter à l’envie « Il était une fois. Il était une fois » on ne débouchait sur rien, que sur le néant d’une imagination impossible ou sur le désert d’un esprit créatif complétement anéanti. C’était terrifiant.
     Tous ceux qui avaient la plume légère, pour écrire les plus belles histoires du monde, étaient désemparés. Ils avaient beau gribouiller ces mots magiques, en essayant d’y associer des noms encourageants comme une libellule, un chevalier, un écureuil, une princesse, une citrouille ou une coccinelle, rien n’y faisait.
  C’était comme si tout ce qui pouvait être raconté avait déjà été fait, ou que le monde de la fantaisie, du rêve ou du fantastique avait disparu, comme avalé par une entité maléfique. Certains avaient même cherché l’inspiration en empruntant un cheminement pourtant réputé comme «Il était une fois chez Walt Disney©». Mais là encore on débouchait sur un trou noir effrayant qui dissuadait les plus courageuses tentatives.
  Devant ce grave problème les grands responsables des maisons d’éditions se réunirent en congrès pour essayer d’apporter des solutions. Ils proposèrent aux plus grands écrivains du moment de se joindre à eux, de se concerter afin de découvrir la nature du phénomène pour pouvoir élaborer un plan d’action. Mais même les plus grands génies du monde littéraire restaient bloqués, sans inspiration aucune, aux limites extrêmes et fatidiques de l’hermétique « Il était une fois ».
  Finalement on décida de confier ce mystère aux bons soins des plus hautes autorités de la grammaire et du vocabulaire, lesquelles siégeaient dans les locaux prestigieux de l’Académie Française. Là ou de vieux bonhommes, honorables et très honorés, encadraient de façon très sévère la langue française, avec des règles précises et incontournables.
  Ils parlaient en articulant soigneusement chaque syllabe avec le savoir de ceux qui avaient avalé des pages entières de bons gros dictionnaires.
  Pendant plusieurs semaines ils se grattèrent la tête, ajustèrent leur monocle pour essayer d’y comprendre quelque chose, mais sans obtenir de résultat. Les plus déterminés d’entre eux semblaient sombrer dans une forme de sénilité précoce avec des manifestations inquiétantes de vieillards tremblotants. Ils étaient obsédés par un mantra répétitif et hésitant qu’ils murmuraient dans les couloirs de l’établissement.
On entendait partout : « Il était une fois. Il était une fois »,  mais sans obtenir de résultat. Bientôt ils durent se rendre à l’évidence, le monde littéraire était arrivé au bout de ses écritures imaginables. On avait atteint les limites, possibles, de la fantaisie. Il ne restait plus qu’à l’annoncer officiellement et à oublier définitivement l’usage du merveilleux sésame.
Point à la ligne.
Mais heureusement les choses changèrent.
     Une petite fille du nom de Anne Fleur de Prune à qui on avait raconté toutes les histoires existantes, ou presque, en redemandait encore. Elle avait beau supplier ses parents, elle n’arrivait pas à comprendre que l’on puisse atteindre, comme ça, les limites de l’imaginaire.
  Son père un peu dépité lui raconta que le fameux « Il était une fois » était tombé en panne et que l’on cherchait désespérément à le réparer. Mais pour cela il fallait trouver le bon mécanicien.
  Anne Fleur de Prune, qui avait souvent accompagné son père, et sa voiture en panne, dans un garage et écouté les commentaires du spécialiste consulté, pensa qu’il ne pouvait s’agir que d’une panne d’allumage, que d’un problème de bougies ou de distributeur.
Des termes qui s’adaptaient parfaitement au savoir-faire du Père Noël.
  Qui mieux que lui connaissait l’allumage des bougies et les problèmes de distributions de cadeaux.
Elle décida de lui écrire, de tout lui raconter, et de lui demander des milliers et des milliers de « Il était une fois » en bon état.
Des introductions de contes à répartir généreusement sur la terre entière au moment de Noël, à l’attention de tous les esprits imaginatifs existants. Ce qu’il fit, dans toutes les langues, y compris en anglais, en breton et même en zoulou.
 Pour les académiciens ce changement considérable, qui ouvrait de nouveau les portes à toutes les histoires possibles, relevait du miracle. Le doyen qui présidait les séances était dans une colère froide, que seule la faiblesse de son grand âge arrivait encore à adoucir. Néanmoins il réussit à exprimer son ressentiment :
« Mais enfin comment se fait-il qu’aucun d’entre vous, tous académiciens de grande réputation, n’ait pensé, un seul instant, au Père Noël ? Enfin, le Père Noël, Nom de Nom, le Père Noël ! Enfin quoi ! »
     Ce jour-là on discuta très sérieusement des conditions de l’admission du Père Noël au sein de la prestigieuse assemblée de l’Académie Française.
  Ce qui fut fait, un peu plus tard, dans une ambiance particulière où de nombreux personnages de contes de fées et de belles histoires remplissaient l’assistance. Un des Sept Nains raconta ensuite à la Belle au Bois Dormant, à peine réveillée, qu’au moment de son intronisation le Père Noël portait un somptueux habit d’apparat rouge, bordé d’hermine, et qu’il avait commencé son discours de façon solennelle en prononçant le fameux  sésame :
 « Il était une fois… »
La littérature était sauve et les contes de Noël aussi. Merci Père Noël !

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