Comme si celles-ci étaient perçues à la manière d’un passage de solitude mélancolique, plongé dans des moments de rêveries ; tout en conservant un peu de chaleur dans nos souvenirs, à mêler aux appréhensions toussoteuses, déjà ressenties pour les prochaines rigueurs hivernales. De celles qui nous attendent, embusquées dans un grand frigidaire de saison. Des pensées un peu tristounettes, certes, histoire de dire n’importe quoi sur l’automne alors que l’on devrait apprécier davantage ce qu’il nous apprend de transitions naturelles ; si on voulait bien observer son évolution, entre l’exubérance de l’été, la lente disparition de ses colorations superbes et multiples, l’abondance des ses feuilles mortes, (qui ne se ramassent plus à la pelle) et son dépouillement quasi squelettique. A l’image d’un dénuement porté par une forme d’hibernation végétale, dans le silence de profondes racines pour attendre le retour du printemps. Je me suis demandé si on ne devrait pas suivre le même cheminement en observant quelques grands arbres, afin d’avoir des comportements similaires ? Histoire de nous débarrasser, nous aussi, de nos feuilles mortes, de celles qui encombrent nos esprits de soucis, de chagrins, de craintes et de contrariétés maladives. Afin de nous en libérer, pour pouvoir accueillir les réjouissances festives, joyeuses et familiales qui se préparent déjà autour des fêtes de Noël.
Alors, essayons d’imaginer ce que pourrait être cette similitude, fantaisiste, entre les humains que nous sommes et les arbres qui nous entourent. Entre le caractère d’un grand chêne superbe et dominateur, par exemple, et celui d’un saule-pleureur, toujours à pleurnicher sa tristesse humide au bord d’un rivage qui nous est cher, celui d’un ruisseau ou d’un lac, on devrait pouvoir loger une dizaine d’arbres différents. Une façon de contrarier les signes habituels qui rassurent nos existences d’angoissés perpétuels, comme ceux de types astrologiques ou ceux concoctés par les chinois, depuis des lustres, avec dix signes de bestioles, coincés entre celui du rat et du cochon (charmant tout ça).
Alors pourquoi ne pourrions-nous pas avoir une liste différente (à nous), de douze spécimens d’arbres, à choisir parmi ceux qui nous entourent ?
Pour la perfection de ce choix, on pourrait laisser aux adeptes de sciences hermétiques, le soin de réfléchir sur le sujet. Mais on pourrait déjà en entrevoir les conséquences. Pour cela il suffirait de s’amuser à attribuer a chacun de nos amis, ou de nos connaissances proches, le type d’arbre qui pourrait bien les identifier et ainsi d’avoir des occasions très humoristiques de les observer pour vérifier nos choix fantaisistes.
Le premier qui me vient à l’esprit concerne un de mes amis que je verrais assez bien placé sous le signe de l’Erable Champêtre, car, comme lui, cet arbre s’identifie dans nos campagnes du Bugey où il s’implante partout, en ajoutant une touche de réputation aux beautés naturelles de nos paysages. Quant aux bruissements des ses feuilles colorées, qui s’envolent sous le vent, ils pourraient être la source d’inspiration mélancolique des chants et des récits poétiques de mon ami, lequel, en automne, sourit souvent aux anges, comme dans un rêve éveillé, en attendant le printemps. Le deuxième exemple pourrait s’appliquer à l’une de mes parentes que je placerais sous le signe du Tilleul car elle aime les parfums naturels et qu’elle ne cesse de me coller des tas de tisanes soporifiques, à boire avant le coucher. Quant à mon ami Marcel, il a d’autres arguments pour accepter le signe qui pourrait bien lui convenir : « Pour moi, dit-il, c’est très facile, comme je suis vigneron, je connais très bien mes arbrisseaux de prédilection. Il ne s’agit pas d’un arbre somptueux mais de pieds de vigne, bien de chez-nous et tu ne me feras pas changer d’idée. Ce sont ceux de Chardonnay et de Mondeuse qui s’endorment sur un coteau, après avoir perdu leurs belles feuilles d’automne. Je sais que je vais les retrouver dès le printemps et en attendant, je bois à leur santé. »
Paul Gamberini
