C’est lassé d’entendre mes amis sortir de leur passivité aimable, soucieuse et silencieuse, pour bramer à l’envi sur les nombreuses difficultés du moment et sur les remèdes à y apporter que j’ai senti le besoin d’aller retrouver des fondamentaux de mugissements sauvages : ceux des puissants brames du cerf. Pour cela Il me suffisait d’oublier mon sommeil, aux toutes petites heures fraîches du matin, bien avant potron-minet, pour aller rejoindre, dans l’obscurité profonde de nos petits villages éteints et somnolents, les fameuses passerelles du marais de Lavours : là-bas à Aignoz. Enfin là-bas, où la marche nocturne et maladroite navigue dans le noir, entre l’incertitude du parcours et la sécurité, tout en éprouvant une sorte d’angoisse alors que tout me parait être inquiétant autour de moi. C’est là que j’éprouve le besoin de retrouver des instincts résiduels et originels de primitif pour pouvoir m’adapter. Enfin j’arrive à distinguer l’observatoire que je gagne et que j’occupe dans un silence à peine troublé par la présence d’un couple aux souffles mesurés et intimement coincé dans l’obscurité. J’observe alors le silence le plus total afin d’écouter les bruits millénaires de la vie animale, de ceux qui se perpétuent régulièrement, selon le même rituel, depuis la nuit des temps.

     L‘impression qui me gagne et à la fois curieuse et émouvante, un peu comme si je pénétrais prudemment dans un moment de préhistoire en oubliant tout de mes habitudes douillettes pour me sentir vêtu de peaux de bêtes, errant bêtement devant la grotte des Hoteaux, avant d’aller chasser une bestiole du coin. Histoire de pouvoir ronger l’os ultime de mon repas quotidien. Enfin mon attention se porte sur les bruits qui s’amplifient dans le marais, là où ça frémit et où ça bouge de partout. La nuit cache les mouvements mais les brames perçus signalent la présence de cerfs et de biches, qui se retrouvent, nombreux, pour accomplir les devoirs sacrés, annuels et immuables des reproductions. Les brames sont différents, de puissance et de tonalité, j’en mesure les variations entre ceux prolongés et bruyants des vieux mâles dominants, tous à la besogne et puis ceux plus timides des plus jeunes, en phase d’apprentissage. Lesquels semblent évoluer entre les incertitudes de leurs hésitations maladroites, en bramant de façon plaintive des rauques de frustrations de cerfs délaissés ou opportunistes, motivés par des : « On ne sait jamais si l’occasion se présentait : avec une petite biche sympa ? »

A les entendre je ressens leurs faiblesses ou leurs difficultés à s’imposer. Et c’est là que je devine des similitudes avec nos comportements humains entre ceux qui  brament des choses raisonnables et sévères pour aller dans le sens des traditions et puis d’autres qui s’époumonent en vain pour balancer des certitudes évasives afin de soutenir leurs ambitions. Mais la comparaison s’arrête-là car je reste sous le charme de cette matinée d’exception alors que les premières lueurs du jour apparaissent. Elles sont voilées de brumes, lesquelles absorbent la lumière diffuse pour donner aux paysages les formes fantastiques d’un décor qui éveille l’imaginaire. Comme un rideau nuageux qui s’estompe peu à peu découvrant un environnement qui s’élargit lentement pour s’étendre sur la surface du marais. C’est la révélation d’une nouvelle naissance, semblable à celle des origines les plus lointaines à l’aube de l’humanité. Au loin je devine la présence d’animaux qui s’éparpillent puis le soleil qui rayonne faiblement et je sens monter en moi une sensation, un peu étrange,  comme celle d’un moment d’éternité.

Une belle expérience de nature à renouveler.       

Paul Gamberini

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