Je ne surprendrais personne en disant qu’il est désormais difficile de perdre le Nord. Finies les bonnes vieilles boussoles ou les pratiques les plus ancestrales pour retrouver une orientation satisfaisante, comme la mousse sur un tronc d’arbre, la course du soleil ou le sifflement du vent mauvais dans des impasses froidement orientées.

Car nous sommes de plus en plus nombreux à être reliés aux satellites qui se baladent sur nos têtes. Une relation qui permet de nous localiser avec une précision étonnante et de suivre les moindres trajectoires de nos déplacements. Même les plus sinueuses, pour ne pas dire les plus secrètes. Alors qu’avant, à l’époque heureuse, historique et soigneusement évangélisée, on croyait que le Bon Dieu, seul, avait le pouvoir de nous observer et qu’il le faisait avec l’attention bienveillante d’un bon Papa super compatissant. Tout en sachant qu’il nous attendait au tournant, plus ou moins gentiment, devant la porte étroite du Paradis. Histoire de régler ses comptes avec nous.

  Mais désormais, avec tout ce barda et tous ces machins qui nous observent de loin, on peut savoir à tout moment où l’on se trouve et permettre à des tas de bidouillages compliqués de nous suivre à la trace. A la manière d’un Big-Brother vigilant, tenace et implacable, équipé d’une mémoire à même de nous retrouver, bien plus tard, pour nous rappeler tout ce que nous avions volontairement caché de nos vagabondages passés.

Tout ça pour dire qu’il enregistre tout, le bougre, avec une faculté qui pourrait nous permettre d’imaginer le style d’oraison funèbre de l’un de nos nouveau-nés, à l’heure de ses très lointaines funérailles : ceci dans plusieurs décennies bien sûr et merci pour lui.

Un exemple :

« Marcel  junior, avait été géo-localisé dès sa naissance le 9 mars 2018 au 37-bis de la rue des Etoiles. Ensuite il a grandi raisonnablement dans le quartier des Fusées pendant 15 ans en se déplaçant localement sur une distance totale de 5460 km. A l’âge de 16 ans il a rencontré sa belle Simone laquelle avait été géo-localisée à sa naissance au 55 de l’avenue des Planètes. Après avoir cheminé pendant les 1678 km d’une romance d’adolescents passionnés, ils ont décidé de vivre ensemble. Au cours de leur longue existence matrimoniale (de 75 ans, 28 jours, 5heures et 22 minutes), ils auront parcouru 502000km dont la moitié respectueuse de la Planète car sans aucune émission de CO2.

     Désormais la dépouille de Marcel restera géo-localisée, définitivement, dans l’impasse 3-A du Champ des Trépassés. Elle sera surveillée, nuit et jour, sur Géo-Portail Funéraire. Afin de conserver le souvenir de sa mémoire, on peut affirmer qu’il n’a jamais fréquenté d’endroits suspects, douteux ou carcéraux et que son contact G.P.S n’a jamais été déconnecté volontairement. Il s’agit là d’un parcours de vie remarquable, grâce à son portable de type « G.P.S Civisme Plus, Plus » lequel, neutralisé et débarrassé de ces composants électroniques recyclables, a été placé à ses côtés pour l’éternité, selon ses dernières volontés. »

     Voilà ce l’on pourrait entendre mais avant d’en arriver là on peut deviner ce que pourrait être notre style de vie dans un futur immédiat car l’immixtion progressive des fameux G.P.S, dans nos vies privées, pourrait avoir des conséquences assez surprenantes.

On peut se rappeler de la façon dont nos guidages d’automobilistes s’évertuent de nous maintenir attentifs à la conduite.

Jamais vous ne l’entendrez dire des choses comme : « A votre gauche vous avez une vue admirable sur l’un des fameux Caveaux Bugistes ! » Ou : « Sur la droite vous pouvez observer des vignerons en train de travailler avec modération ! »

Au lieu de cela on n’arrête pas de se faire enguirlander par une voix de robot monocorde qui nous ramène dans une ambiance d’école maternelle. Je vois assez-bien l’évolution d’un système domestique, fabriqué tout exprès pour entretenir une harmonie, géo-guidée, dans l’intimité douillette de nos chaumières. Ceci afin d’être conformes aux exigences d’un contrat matrimonial type « G.P.S Vie à Deux ».

Le réglage sur « mode autoritaire » devrait nous grogner des choses comme :
-« Marcel tu n’es qu’un gros fainéant, tu fais demi-tour, tu regagnes la cuisine et tu fais la vaisselle ! »

Ou, en « mode câlin » :
« Marcel, il est très tard, ton forfait mensuel tendresse est loin d’être épuisé, éteints la télé et rejoins ta Simone, fissa-fissa, bien au chaud sous la couette bouillante ! »
-« Oui, oui O.K ! Bon, ça va, ça va, ça va ! J’y vais, j’y vais ! Purée de G.P.S ! »    

Bonne rentrée, avec ou sans G.P.S !

Paul Gamberini

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