Une façon d’interpréter ce qui nous arrive régulièrement quand l’été revient et que les vacances, pour certains, se passent en famille. Une histoire répétitive dont le déroulement pourrait se raconter selon trois tableaux différents, illustrés ici de façon très caricaturale, alors qu’ils sont communs de fréquences et d’habitudes : car on les retrouve un peu partout.
Le premier tableau se passe généralement dans une gare ou dans un aéroport quand on est soumis à un protocole de retrouvailles après avoir fait des efforts de dispositions habituels, de réveil matinal, de conduite nerveuse et d’attente fébrile. Cela afin de récupérer deux ou trois de nos adultes, entourés de leurs mouflets grognons, parfois toussoteux ou turbulents. Cette fois c’est dans une gare, où on peut s’attendre à ce que le train ait un peu de retard. Mais animé par une conscience de vieux maniaque ponctuel on est déjà-là, de bonne heure, à trainailler distraitement sur le quai pour voir si les rails sont toujours solides et encore parallèles, ou bien pour respirer des odeurs particulières qui accompagnent les souvenirs de nos anciens voyages ferroviaires. Bien que l’on ne soit plus aux bons vieux temps des vieilles locomotives à vapeur, avec tout le charme de leur époque romantique et c’est bien dommage. Enfin le train arrive et c’est le moment des retrouvailles joyeuses qui se dissolvent rapidement dans une espèce d’effervescence exubérante, de tendresses et de bisous spontanés. Dans les aéroports le cadre est différent mais les retrouvailles sont presque du même style. D’abord impatients, puis inquiets et enfin rassurés de les voir arriver, tous là, en bonne forme, tous à nous sourire généreusement : dynamiques, pas encore bronzés mais heureux !
Le deuxième tableau se passe à la maison où après les premières célébrations d’accueil, sanctionnées par un peu (beaucoup) de bonnes bouteilles bien fraîches, nos hôtes s’installent dans un désordre de vacanciers, mode laisser-aller complet, qui bouleverse complètement le caractère soigné d’un rangement habituel, très sévèrement ordonné. Les fauteuils servent de trampolines, la télévision est mobilisée sur des programmes inconnus, l’ordinateur est bidouillé et la cuisine est laissée aux bons soins de la maîtresse de maison, Simone, complètement dépassée, qui après avoir fait des exploits de préparations culinaires se retrouve bien seule pour régler tous les soucis d’intendance. D’une façon générale on roupille tardivement, on se balade dénudé, des doigts de pieds énormes écrasent les vieux tapis et les gros sourires du départ se transforment en grognements de sauvages devant la porte du frigo qui s’ouvre sur le vide, sidérant, d’un manque de beurre ou de confiture : c’est insupportable. L’ambiance devient dramatique quand de mauvaises remarques sanctionnent la cuisson d’un pauvre poulet rôti qui se fait durement critiqué par deux ou trois assiettes de consommatrices ingrates. La tension est vive, Simone, est désespérée. Mais heureusement les vacances s’épuisent rapidement.
Le troisième tableau se passe de nouveau à la gare, quand vient le moment de se séparer et que l’on se retrouve tous sur le quai pour saluer le départ. Les préparatifs se sont fait dans la précipitation pour rassembler tout le monde, à la recherche des précieux documents de voyage et avec l’essentiel de nourriture et de boisons pour survivre pendant quelques heures. Un gamin pleurniche, une épouse se pomponne en étalant le visible, raisonnable, d’un bronzage complet quand son bonhomme retrouve une allure grave et responsable de chef, coincé dans la hiérarchie serrée d’une administration pointilleuse. Il balade son regard en affichant une mine sévère qui le virilise et s’il nous regarde, il nous trouve bien gentils en éprouvant une tendresse tardive, pleine de reconnaissance pour parler de sa prochaine visite. Et là tout le monde se prête à sourire, parfois de façon grimaçante en pensant aux futures retrouvailles. Mais qu’importe tout cela si on s’aime très fort lorsqu’on se sépare : à bientôt et prenez bien soin de vous !
Paul Gamberini