Seconde partie de l’entretien avec Louis Moulin, né en 1915 dans le hameau de Rothonod, il y passera l’essentiel de sa vie comme agriculteur. Après avoir évoqué les grands événements de sa vie (cf. notre édition d’octobre 2013), nourris de moments difficiles mais aussi de satisfactions familiales et sociales, il se remémore à présent les charmes du quotidien à travers les distractions de jadis et les joies d’une nature alors riche à souhait…
« Les réjouissances, elles étaient sur place, personne n’avait de voiture : quand il y en avait une, elle faisait pour tout le village… On « tournait » des ramequins, ou plutôt des fondues, parfois on en mangeait deux le même soir : l’une à huit heures et l’autre à une heure du matin (rire)… L’après-midi du dimanche, on jouait aux boules, ou au foot. J’avais un tambour et avec des copains au clairon on passait dans le village et les gens nous payaient à boire, le vin de ce temps ne faisait pas 13°… On allait à vélo pour les vogues et les bals jusque dans le Valromey !
Autrement, c’était la chasse et la pêche. Le gibier était nombreux, car pendant la guerre, on ne pouvait pas chasser : lièvres, lapins, faisans, pigeons. Du bord de la rivière, on ne revenait jamais bredouille : on trouvait des canards, des poules d’eau, des sarcelles…
Le matin de bonne heure avec mon père, on enfilait nos bottes et on partait aux lièvres avec le chien, et c’est rare quand on n’en tuait pas !D’ailleurs, on connaissait les coins où ils se trouvaient…
Et puis l’après-midi, on montait au bois pour les lapins. A midi, quand il faisait chaud, on allait au bord de la rivière sous un grand arbre. Les pigeons qui étaient nombreux se posaient sur les branches avant de descendre boire. Et là ! (sourire)
Mais aujourd’hui, on ne voit plus rien, pas un oiseau de la journée… Plus de vaches, plus de mouches, plus d’hirondelles…
Et dans le Furans, on ne revenait jamais bredouille. Il y avait toutes sortes de poissons : des truites bien sûr, des brochets, et de la petite friture qu’on appelait « la mirandette » : de la vandoise, des ablettes, pas plus gros que des sardines. On mettait au bout de l’hameçon une mouche ou tout ce qu’on attrapait sur les branches, et le tour était joué… Sur notre terrain, on avait trois nasses, et mon père allait les relever tous les deux jours : il y avait toujours des truites dedans ! Moi, ce que je prenais surtout, c’était des anguilles, des « machins » d’un mètre de long. Je posais ma ligne de fond le soir (une ficelle, du nylon, un hameçon et un bouchon de bouteille), et le matin j’allais récupérer truites et anguilles. Un jour ma mère m’a dit : « Arrête un peu, qu’est-ce qu’on va faire de tous ces poissons ? »…
Quand on avait cinq ou six belles pièces, on arrivait à les vendre au restaurant Pernollet… Autrement, on en mangeait trois fois par jour (rires).
Pour les truffes, j’ai commencé avec l’oncle de ma femme : c’était un grand chasseur de gibier et de truffes à Saint-Bois. J’avais une petite citroën 5 CV, « en cul de poule » et nous allions à Anglefort. De là, à pied, on longeait toute la montagne jusqu’à Culoz. Aujourd’hui les prés, les bosquets et donc les truffiers ont disparu. On en ramenait beaucoup…le chien les reniflait et on grattait délicatement autour sans saccager les lieux de pousse. »
Voilà pour l’essentiel, ce que fut cet entretien. Ses enfants, ont développé la culture de la truffe et un musée privé agrémente la demeure familiale. Beaucoup d’émotion et de nostalgie dans les propos de Louis-Anthelme à travers un regard apaisé sur ce qui fut une vie souvent difficile, mais puissante et riche.
Et l’aventure continue…
Michel Bigoni