Les Entretiens de Belley au pays de Brillat-Savarin du mois d’octobre éveillent chaque année un chapelet de questions quant à l’art de “La table au temps de Brillat-Savarin”, cet entre-guillemets, étant le titre de l’ouvrage publié en 1892 par le neveu du grand homme : Lucien Tendret.
Pourrions-nous encore espérer nous asseoir à une table pour retrouver les saveurs d’un plat de ce temps-là ?
Paul Bocuse et le charcutier “Reynon” à Lyon, réalisent annuellement une recette de Brillat-savarin, le fameux pâté “L’oreiller de la belle Aurore”, pièce de 32 kilos composée d’une quinzaine de viandes et de gibiers à plumes, sans parler d’une myriade d’autres ingrédients… Ce sont des approches remarquables.
Mais allons plus avant. Dès le début du livre de Lucien Tendret, nous apprenons que la vraie cuisine a dépéri avec l’invention du fourneau à bois ou à charbon… Et oui, il n’est d’authentique cuisson que sur la braise et par le tourne-broche ! Alors, que penseraient les femmes de ce temps-là de nos cuisinières à induction et, horreur suprême, de nos fours micro-ondes !
Mais pire encore, c’est la nature même des produits qui n’est plus la même. Quelques exemples évoqués dans le livre de Lucien Tendret…
Que sont devenus les moutons du Colombier, bien supérieurs à ceux qui sont considérés aujourd’hui comme le summum tels les agneaux de Pré-Salé ? Et les porcs noirs, la race ancienne du Bugey, seuls capables de donner de vrais saucissons et boudins succulents ? Et les écrevisses qui abondaient dans le Furans et le Gland ?
Et les saveurs inimitables des navets de Parves, des raves succulentes de la région belleysanne, des choux de Champdor, et de l’agaric sauvage, champignon aujourd’hui introuvable, bien supérieur à la morille ?
En feuilletant un livre appartenant à une ancienne famille de Ceyzérieu, ouvrage entièrement consacré à un menu servi lors d’une réception, j’ai relevé que le lièvre dégusté ce jour-là avait été tué dans une certaine prairie parce que les plantes et fleurs de celle-ci y parfumaient plus finement la chair…
Et puis, il aurait fallu tenir bon la fourchette à une époque où l’on mangeait jusqu’à n’en plus pouvoir, dans les milieux privilégiés bien sûr.
S’il faut tirer une morale de ce retour en cuisine au temps de Brillat-Savarin, c’est qu’à coup sûr nos arrière-petits-enfants diront que la table qui est la nôtre aujourd’hui en ce début du XXIè siècle relevait de la perfection ! Nostalgie quand tu nous tiens… Alors gloire à nos cuisiniers d’à présent, perpétuant un art en devenir toujours renouvelé !
Michel Bigoni