Si on pouvait farfouiller dans les archives de la Saint Sylvestre, quelque part, là-haut, parmi les idées lumineuses des premiers jours de l’An, on serait sans doute surpris par le nombre et par la diversité des intentions manifestées.
On y trouverait sûrement des décennies de bonnes résolutions, toutes en panne de réalisation ou d’achèvement, laissées à l’abandon par tous les émerveillés candides des douze coups de minuit.
Chacun sait qu’il n’y a pas de sérieuses conclusions de réveillons sans que les joyeux fêtards, que nous sommes, tout pétillant de Champagne, ne s’engagent dans une trajectoire intenable, en annonçant, solides comme une paire de béquilles, qu’ils vont entreprendre des tas de choses impossibles à tenir. Leurs affirmations sont souvent sincères et la détermination affichée est aussi convaincante que celle d’un bon pilier de bar, bien conditionné pour avoir des idées aussi claires et aussi épaisses qu’une bonne nappe de brouillard. Mais sûrs de leurs affaires, hostiles à toute forme de contradiction, ils abordent la nouvelle année avec une somme d’intentions destinées à s’épuiser lentement sur les premières pâquerettes du printemps. Malgré cela on ne peut que louer cet état d’esprit positif, volontaire, joyeusement orienté et courageusement manifesté, lequel essaie de s’impliquer dans des entreprises extraordinaires ou de s’imposer de difficiles, sinon d’impossibles changements de comportements. Je n’ose pas imaginer que de possibles hurluberlus plutôt dérangés, pétris de haines féroces ou de rancunes maladives, puissent s’engager dans des résolutions négatives nourries d’intentions malfaisantes. Ceux-ci existent, parfois, mais c’est rare, et leurs obsessions sinistres doivent les cantonner dans un univers funeste qui n’a rien à voir avec le bon ordre des choses. Un bon ordre lié à l’évolution du monde, aux plaisirs de l’existence, à ceux de l’amour et de l’espoir. Il est donc raisonnable de penser que l’homme est, par nature, prédisposé à entreprendre de grandes œuvres dont la gestation doit exister dans les prémices vaporeux des tous premiers jours de l’année.
Malgré ces exaltations saisonnières, la suite reste souvent aléatoire et si les marchés d’occasions des bonnes résolutions de la Saint Sylvestre devaient exister un jour, on y trouverait sans doute des tas de propositions, toutes aussi diverses et toutes aussi nombreuses que les intentions exprimées. Elles seraient certainement en bon état de conservation, à peine égratignées par des tentatives timides ou maladroites et souvent chargées d’espérances de lendemains souriants. Pour les besoins de ces quelques lignes je me suis laissé aller à parcourir les espaces imaginaires de l’un de ces fabuleux marchés d’intentions de la Saint Sylvestre.
Donc il était une fois, sur la place de l’un de nos petits villages, à l’ombre des tilleuls, des platanes ou des grands marronniers, un marché aux allures de brocantes chaotiques et bruyantes. La nature et la qualité des offres faisaient penser à un énorme fatras de choses diverses ou à des sessions de projets mirifiques inaboutis, tous en désespérance d’adoption. Dans une ambiance bon enfant, où chaque exposant se dissimulait derrière des sourires de circonstance on devinait des traces de regrets ou des manifestations discrètes, presque pudiques, de gênes ou d’embarras. Campés derrière leurs babioles on sentait l’attachement qu’ils pouvaient éprouver pour leurs illusions d’aboutissements impossibles. Un peu comme si chaque détenteur de bonnes résolutions était anxieux de passer le flambeau à d’autres, mieux disposés, pour les pratiquer, les faire revivre ou les compléter. Histoire de charger la mule d’autres pèlerins courageux pénétrés par une charité naïve d’éternels émerveillés.
Là une charmante personne me vante les mérites d’une méthode réputée pour vous transformer rapidement en polyglotte remarqué n’importe quel bafouilleur primitif de langue maternelle. Elle me raconte que depuis ses tentatives éphémères, elle s’est trouvé un authentique compagnon transalpin qui ne cesse de l’émoustiller avec un vocabulaire soigneusement affuté par des générations de séducteurs napolitains. Sans oublier la musique, bien sûr. Elle ne se lasse pas d’écouter la mélodie romantique de son langage avec un ravissement qui devrait perdurer jusqu’aux plus ultimes de leurs effusions sentimentales.
Plus loin un Bonhomme est disposé à céder tout l’équipement informatique qui devait le basculer à jamais sur la fameuse « Toile » alors que les sommets de sa technicité ne dépassaient pas les pratiques assidues de la pêche à la ligne. On le sent impatient de se débarrasser de tout ce barda avant d’aller retrouver les rivages paisibles et bucoliques du Furans. Je passe rapidement devant tous les aspirants musiciens du réveillon lesquels, nombreux et rigolards, ont tous de bonnes raisons pour abandonner des instruments à peine désaccordés par leurs manipulations maladroites de gros doigts boudinés.
Quant aux sportifs, ils affichent des mines patibulaires et des traces de traumatismes dissuasifs. Un skieur occasionnel termine l’extension de son forfait dans le plâtrage artistiquement ouvragé d’une guibole en cours de restauration, tandis qu’un parachutiste cède gratuitement son abonnement après un seul et unique saut. Un saut dont il ne garde que le souvenir douloureux du violent coup de pied aux fesses, parfaitement ajusté pour nous l’expédier virilement dans les terrifiantes aspirations du vide.
D’autres alignent les déconfitures et les séquelles de leurs disciplines respectives, toutes suffisamment intenses pour être commentées bruyamment dans les vapeurs inspiratrices d’une indispensable buvette. Là on retrouve la multitude de ceux qui se sont engagés dans des résolutions insensées comme des pertes de poids, des efforts de langage, des renoncements aux cigarettes ou des abandons définitifs de leurs fêtes de la bière à répétition. Mais malgré la somme des déboires évoqués, je réalise que ces effritements de résolutions, n’entament pas l’envie d’entreprendre de nouveau, de faire et d’espérer.
Un abandon conjoncturel n’interdit pas de se préparer pour d’autres engagements plus ou moins fantaisistes, lesquels trouveront un élan enthousiaste au cours des prochaines festivités de la Saint Sylvestre. Car il n’est pas inutile de rappeler que beaucoup de bonnes résolutions finissent toujours par aboutir, et que les petits bonshommes, que nous sommes, sont souvent capables de très très belles choses extraordinaires.
Alors, bonne année et bonnes résolutions !