Et puis un jour ce que de grands gourous zodiacaux prétendaient depuis longtemps finit par se produire. Alors que Venus contemplait notre vieille Terre, par une belle nuit de beau quartier de Lune, elle se secoua fortement la planète afin de disperser partout, dans tous les coins de notre galaxie, des nuages entiers de poussières d’étoiles. Des poussières de passions amoureuses. Poussées par un puissant vent solaire qui nous était destiné, ces nuages traversèrent le ciel l’espace d’un clin d’œil irrésistible, façon ténor napolitain, avant de se répandre partout, tout autour de nous, à l’aube de la fête de la Saint-Valentin.
Bien que le phénomène ait été évoqué dans les pages de nombreux journaux spécialisés, voués aux éternels atermoiements romantiques de nos glorieux “peoples”, personne ne croyait vraiment à ces balivernes d’astrologie déjantée. Certes, on évoquait bien les destins tragiques d’amoureux transits qui allaient jusqu’à oublier de respirer pour pouvoir sublimer, vers des au-delàs mythiques, des légendes merveilleuses de passions éternelles ; on parlait encore de Tristan et Yseult, d’Antoine et Cléopâtre, de Roméo et Juliette, de Paul et Virginie et de Marcel et de la grande Duduche de la rue du Palais, mais avec l’étonnement que l’on peut accorder aux médaillés suprêmes de leur spécialité. Bref, on était beaucoup plus dans l’esprit d’amours mesurés que dans celui de serments qui vous entrainaient doucement au trépas dans le sillage tourmenté d’une destinée sentimentale tragique. Mais ce jour-là, malgré les ironies sarcastiques de certains, les choses changèrent.
Qu’elles soient de différentes origines, on finit toujours par trouver une odeur particulière aux poussières qui tombent sur la terre. Le premier à s’en apercevoir fut l’un de nos religieux, en extase devant une image pieuse de saint Anthelme et qui, dès potron-minet, avait l’habitude de psalmodier des incantations pieusement laminées par un usage excessif. Lui qui avait pour les Saintes Reliques un sens olfactif particulier, reconnu immédiatement l’odeur de saint Valentin. C’était un expert. Aussitôt il sentit monter en lui une fièvre inconnue qui l’aurait libéré de ses vœux, afin d’aller courir le guilledou, s’il n’avait pas été rattrapé par un miraculeux sens du sacerdoce. Puis, l’aube naissante réveilla tous ceux qui, de très bonne heure, avaient rendez-vous avec leurs devoirs quotidiens. Pour tous ceux qui avaient une inclination naturelle aux beaux sentiments, il leur fut extrêmement difficile d’abandonner le doux nid conjugal. Ce n’est qu’après de multiples serments, des mots tendres retrouvés qui remontaient aux fiançailles de leurs amours qu’ils purent s’engager sur le chemin de leurs occupations.
Perturbés, au-delà du raisonnable, ils se retrouvèrent très nombreux chez les fleuristes, à confectionner les bouquets de leurs tendres émotions ou à effeuiller les marguerites dont les ultimes pétales se faisaient, ce jour-là, les augures de passions exaltantes.
On a raconté ensuite que les phénomènes de cette journée avaient été sans limite. Que dans les nurseries les bébés prédestinés avaient proféré des vagissements extatiques ; que dans les maisons de retraites l’heure n’avait plus été aux sirops, ni aux pilules, ni aux tisanes mais aux filtres d’amour et aux câlins tremblotants. Que dans les lieux publics on avait relevé de nombreux coups de foudre dont certains, pour les plus sensibles, avaient trouvé leurs apaisements thérapeutiques aux urgences. Enfin que les parcs, les petits chemins avaient accueilli les promenades sentimentales de tous ceux qui avaient des besoins apaisants de doux échanges chuchotés, que l’amour universel avait eu raison de toute logique. Enfin que la journée s’était conjuguée en rêveries, en poésies, en promesses et en touchantes manifestations de tendresse. Que tout n’avait été que romances, que félicités, basculées dans le meilleur des mondes d’une extraordinaire fête de la Saint-Valentin.
Les choses auraient pu rester ainsi, longtemps, sans l’intervention des plus irréductibles. Pour eux, tout ce qui devait se traduire en efficacité, en rendement ou en conquête économiques risquait de virer au fiasco. Ils réagirent vivement et après avoir consulté différents chamans, qui leur étaient favorables, ils décidèrent d’exciter la planète Mars. Ils demandèrent aux militaires de faire le nécessaire et sans état d’âme ceux-ci démarrèrent un conflit pour attirer l’attention de la planète rouge, laquelle dispersa de très larges nuages de poussières d’agressivité. Poussées par un puissant vent solaire qui nous était destiné ces poussières se répandirent partout, tout autour de nous, et progressivement les tendres inclinations de la fête de la Saint-Valentin s’atténuèrent. La Terre retrouva rapidement le caractère de ses bonnes et de ses mauvaises habitudes.
Il n’empêche que depuis ce jour-là, d’importants dépôts de poussières d’étoiles, ou de passions amoureuses, subsistent encore, partout, tout autour de nous, et que régulièrement saint Valentin descend de son perchoir, le jour de sa fête, pour souffler dessus afin de les répandre généreusement. Il le fait avec la malice d’un bon gros bonhomme joufflu, jovial et très heureux de pouvoir redonner à la terre entière une nouvelle occasion de bonheurs, de douces émotions, de tendres attentions, et parfois même de grands amours sublimes et éternels.