Que la vie soit faite de hauts et de bas, cela ne devrait pas surprendre grand monde. Le rappeler relève presque de radotages de vieux grincheux fatigués.
Un peu comme la répétition gâteuse d’un lieu commun tellement épuisé qu’il en passerait presque inaperçu. Sachant que les fluctuations de nos existences se promènent entre des extrêmes allant de grands bonheurs à de petites misères, ou inversement, on préfère toujours loucher vers le haut pour favoriser l’avènement d’augures favorables et énergisants. Ainsi en va-t-il de nos réflexes naturels, portés par une sorte d’optimisme d’espèce pétrie d’espoirs, et tirés par des aspirations de lendemains chantants ou de situations colorées. Toujours vers l’avenir, toujours plus haut…
S’il y a des bas, il y a forcément des hauts dirait le philosophe, encore faut-il avoir la sagesse nécessaire, ou la force de caractère suffisante, pour pouvoir prévenir ou amortir les chutes éventuelles.
Certains diront que d’autres vecteurs influencent, aussi, nos pérégrinations de petits bonhommes. Entre ceux qui vont de droite à gauche et inversement, ou ceux qui avancent et qui reculent sans arrêt, on peut raconter beaucoup de choses. Les premiers agissent par manque de scrupules ou de convictions, ils subissent des influences contradictoires avant de changer de couleurs avec l’étonnante facilité d’un bon gros caméléon opportuniste ; les deuxièmes nous font la démonstration de personnages timorés, toujours hésitants, portés à vivre dans un immobilisme parfait de sphinx pétrifié. Pour ma part je considère que l’axe vertical, de bas en haut, est le plus déterminant de tous, au point de tout conditionner de nos existences. Nous sommes fabriqués comme ça, d’abord pour subir de façon incontournable les lois de la pesanteur et ensuite, pour transposer ces vérités de physique dans l’évolution de nos mentalités, de nos comportements, de nos caractères, dans la recherche de notre bien-être, dans nos pratiques professionnelles, sportives et même dans nos conceptions religieuses.
Je rappelle, pour les non-initiés, qu’aux dernières nouvelles le Bon Dieu réside toujours en haut, aux cieux, alors que son irréductible adversaire, le Diable, est encore cantonné en bas, au sous-sol des croyances, dans les arcanes effrayants des enfers rougeoyants…BRR !
Si le haut se manifeste souvent par l’utilisation de verbes valorisants, comme monter, grimper, escalader, promouvoir, élever, soutenir, décoller, etc. le bas, lui, nous ramène impitoyablement au niveau du plancher des vaches avec des verbes comme descendre, tomber, chuter, effondrer, destituer, glisser, caramboler, déraper, sombrer et même : enterrer. On a bien là deux tendances complétement antagonistes, l’une chargée de gloires, de réussites de récompenses et de considérations, l’autre traumatisante qui ne cesse de nous rabaisser. Une manie pour nous mettre dans des situations difficiles, de déchéances, de fractures du col du fémur ou d’autres misères insupportables.
Bien sûr, il y a quelques anomalies, une forte fièvre ou une tension élevée pourraient contredire nos constatations mais ce ne sont que des manifestations perverses d’une tendance « basse » machiavélique. De même le skieur, qui trouve son plaisir dans l’exercice vitalisant des descentes, est bien content de pouvoir se coller les fesses sur un bon vieux remonte-pente.
Est-il plus heureux à la montée qu’à la descente ?
Pour ma part j’ai toujours aimé les remontées mécaniques, ce sont des moments de grandes satisfactions si on songe aux longues fatigues évitées par ces engins robustes qui nous tiraillent brusquement le squelette vers le haut.
Ceci étant dit, on peut s’étonner qu’il n’y ait pas encore de spécialistes pour traiter de façon sérieuse le haut et le bas. Un docteur diplômé en « haut et bas » pourrait s’inscrire dans l’ordre des choses. Une campagne publicitaire célèbre avait bien attiré l’attention des curieux avec le fameux « Aujourd’hui j’enlève le haut », avant qu’ils ne tombent, et un autre jour bien connu mais sans conséquence notable. La seule conclusion que l’on pouvait tirer de cette publicité c’est que le haut et le bas accaparaient toujours, de façon fascinante, tous les esprits, qu’ils soient jeunes ou vieux, qu’ils soient prudes ou coquins.
Après avoir consulté plusieurs intervenants, dont un pilote d’avion, un patron de montagnes russes, un parachutiste et différents chanteurs, basse et soprano, le seul expert sérieux que je rencontrais était un responsable d’ascenseurs. Il avait toutes les qualifications requises et une très longue expérience pour éclairer ma lanterne.
Je l’écoutais :
« Des hauts et des bas, me dit-il, on les retrouve partout et s’ils n’existaient pas je ne vois pas comment je pourrais installer des ascenseurs. Pour rester terre à terre, je vous dirais que ceux qui tiennent le haut du pavé ont toujours des envies d’élévations incorrigibles et ne cessent d’en demander davantage. Toujours plus haut pour dominer et pour avoir des satisfactions de puissance ou de pouvoir.
Mais il y a une égalité dans tout cela car quel que soit l’étage occupé, partout, à tous les niveaux, on peut toujours s’envoyer en l’air, sans risque de chute traumatisante, sauf de très rares exceptions. Il y a là une très belle vérité universelle. »
Je le remerciais pour cette conclusion réconfortante.