Il était une fois une truffe bien ronde, enfouie dans un terrain léger au calcaire émietté encore tout tiède et tout sec des journées de l’été. Elle se nourrissait des parfums de la terre, se protégeait entre les racines d’un jeune chêne et se dissimulait dans un habit de noir pour se confondre aux couleurs d’un lit propice à sa croissance.
Son destin voulait qu’elle disparaisse dans la lente évolution d’une existence menant jusqu’au grand âge, qui pourrait être le sien, mais le sort en allait autrement. Alors que de nombreux végétaux connaissent le terme de leur passage, bref ou long parmi tous les feuillages, pour la truffe secrète aux senteurs révélées, il en va autrement. On la recherche, la traque, la truffe du chien respire sa présence, le groin du cochon farfouille son habitat et la mouche espiègle trahit son camouflage. Le chercheur la découvre, enfin, il la soupèse, la sent et la brosse puis heureux d’un bonheur suprême de récompense ou de richesse il l’emporte vers ce qui fera d’elle la touche ultime d’un raffinement culinaire, précieux, offert à la gourmandise des plus gourmands des gourmets. Mais enfin, notre truffe bien ronde, qu’allait-elle devenir ?
Nous étions en décembre le mois qui fait honneur à une belle activité pénétrée par une noblesse de terroir, celle de notre cher Bugey, afin de redorer son prestige trop longtemps oublié et de l’inscrire de nouveau dans le sillon profond de ses plus vieilles traditions. Il s’agit de celle des trufficulteurs, des hommes de patience, de courage et de passion, groupés en confrérie, coiffés de grands chapeaux et porteurs d’emblème qui précède la marche de leur gloire annuelle.
Ils sont nombreux, le jour du marché aux truffes, sur la place de Saint Champ, pour présenter ce que l’année leur aura offert de généreux ou de juste récompense pour leur persévérance et pour soutenir la pérennité de leur activité. Car la tâche leur est rude, combien d’arbres soignés, combien de temps passé, de tontes, d’arrosages, d’entretien et d’attente, de craintes aussi et puis de soulagement. Quand on espère le secours d’une pluie fine, quand on redoute la sécheresse ou que l’on craint le gel d’un froid prématuré. Et puis vient la récolte, celle d’un sous-sol capricieux qui cache dans ses entrelacs les offrandes bulbeuses d’une nature secrète.
On gratte et l’on découvre, l’émotion est grande, la surprise est heureuse. C’est dans ces conditions de trouvailles, dans la pâle lumière d’un petit matin d’hiver que notre truffe aura été baignée par la clarté du jour.
Qui de Joseph, de Jules ou de Marius l’aura découverte ?
On devine la fébrilité de son possesseur immédiat et les sentiments qu’il en éprouve car elle est là, dans sa main qui la soutient comme une grosse pépite. C’est un plaisir qui l’affranchit, l’espace d’un instant, de toutes ses craintes, qui gonfle son orgueil et adoucit les misères d’une passion contraignante. Il la caresse, estime son poids et se demande ce qu’il va en faire. Car avec le rêve l’imaginaire s’éveille et le soin se fait protecteur. Elle fait son poids sa qualité répond aux exigences, elle vaut son prix mais aura-t-elle l’acheteur qui la mérite vraiment car il n’est pas question de la brader. Puis, enfin, c’est l’instant fatidique quand le son de la cloche, qui ouvre le marché, s’étouffe dans l’entassement d’une foule compacte, prompte à se précipiter, poussée par le désir de voir, de toucher et surtout d’acheter. Jules est à la caisse, Marius à la balance et Joseph se fait vigilant, comme une poule attentive sur sa couvée, il observe et protège le précieux étalage d’où surgit notre truffe.
Les échanges sont brefs et significatifs, le poids, le prix puis les hésitations, le temps de laisser aux amateurs le soin de se décider.
Au premier client qui la convoite on répond avec retenue, le cœur n’y est pas, puis un autre force le passage et éveille les sourires car c’est un connaisseur dont la cuisine renommée fait la part belle aux productions locales. De tout ce que le Bugey, qui retrouve le merveilleux potentiel de son terroir, peut désormais offrir de victuailles et de productions vinicoles de qualité. Désormais on connait la destination de notre truffe, car son acheteur se fait loquace :
« Filet de bœuf clouté de truffes noires, dit-il, ou Dindon truffé et à la gelée, ou bien Le sauté de truffes noires. Ce sont de vieilles recettes de la Table de Brillat-Savarin et avec cette belle truffe, accompagnée de produits locaux, on va se régaler ! »
Merci à tous nos Trufficulteurs !
Paul Gamberini